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Publié le par jérémiah


j'aurais pu croire
(5min)

« Splendeur perdue de la civilisation musulmane.

[...] Bernard Lewis souligne que la civilisation musulmane, des années 800 aux années 1800, grossièrement, a connu mille ans de gloire, de domination et de certitude. Ses qualités militaires lui permirent de conquérir, dès le VIIè siècle la Syrie, l'Égypte et l'Afrique du Nord, au Ixè la Sicile et l'Espagne, avant que son pouvoir ne s'étende vers l'Asie, la Russie, l'Europe orientale, se stabilisant dans l'Empire ottoman, immense et longtemps invincible. De génération en génération, les musulmans de ce temps de grandeur n'ont pas seulement pensé que leur religion intégrait et dépassait les versions anciennes du monothéisme auxquelles juifs et chrétiens demeuraient attachés en vain. Ils ont constaté les succès – militaires, commerciaux, politiques, scientifiques, culturels... - que l'Islam était alors en mesure de conjuguer et de renforcer. Celui-ci avait crée, dit Bernard Lewis, « une civilisation mondiale, pluriethnique, multiraciale, internationale et l'on pourrait même dire transcontinentale ».
[...] Une puissance qui rend faible. Ce monde solidement établi, prospère, bien plus tolérant envers les minorités et les étrangers que ne l'était à la même période la chrétienté, était aussi un espace clos, enfermé dans la conviction de sa suprématie, pratiquement sans relations avec l'extérieur. Des sciences, héritées des Grecs et perfectionnées par des lignées d'astronomes, de médecins, de philosophes, on pensait avoir fait le tour. Des barbares du Nord, chrétiens arriérés et frustes, on n'avait rien à attendre ni à craindre. Les croisades avaient été repoussées. La bataille de Lépante, en 1571, dont on fit grand cas en Europe, était certes une défaite, mais n'avait pratiquement rien changé au cours de l'histoire. [...]
[...] Les musulmans ne voyageaient presque pas vers l'Occident : vivre en terre infidèle leur était fortement déconseillé. Les sultans n'entretenaient pas d'ambassades fixes auprès des souverains étrangers. Des émissaires étaient envoyés pour une mission précise, rien de plus. Aucun savant n'étudiait les langues, les textes, les moeurs de l'Europe. Celle-ci comptait déjà bon nombre d'orientalistes. L'Empire ottoman n'avait pas d' « occidentalistes ».
L'ouverture de l'Empire à la modernité occidentale fut longtemps retardée par sa certitude de lui être supérieure. Que des infidèles pussent mieux faire que les disciples de Mahomet avait quelque chose de choquant. Lorsqu'il apparut de manière éclatante que l'industrie, les sciences, les transports, les finances, les techniques, les arts, même, avaient changé de vitesse en Occident, il fallut envisager de se mettre à l'école des infidèles, situation jusqu'alors inconcevable.
[...] On découvre ainsi la frontière entre la modernisation, qui fait apparaître à côté des objets techniques de nouveaux métiers (journaliste, avocat) mais n'entamerait pas l'identité fondamentale de l'Islam, et l'occidentalisation, qui menacerait de faire disparaître l'essentiel. Ce n'est pas un hasard si le statut des femmes est ce qui change le moins : il définit la limite que l'univers ancien ne peut franchir sans cesser d'être lui-même.
[...] Quels que soient les arguments et les invectives, on ne saurait donner tort à Bernard Lewis quand il décrit les deux voies possibles qui s'offrent aujourd'hui au monde islamique. La première est le retour aux origines pures et dures de l'Islam contre une modernité jugée corruptrice. Le mal serait venu de l'abandon des règles coraniques les plus strictes. En les restaurant, on l'effacerait. Plus de charia, moins de maux... la seconde solution possible passe par la constitution effective d'États laïques, démocratiques, travaillant à l'égalité des sexes. Ce fut le chemin suivi en Turquie, au Xxè siècle, par Atatürk, devenu la bête noire des islamistes. »

par Roger-Pol Droit, dans Le Monde 2, numéro 23, novembre 2002, p.164-166.

"Combien de fois l'homme en colère nie-t-il avec rage ce que lui souffle son moi intérieur ?"
Extrait de Les dits de Muad'Dib, par la Princesse Irulan.
~ Frank Herbert, Dune ~

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