| chronique des nukaks |

Publié le par jérémiah

(suite) « Peut-on encore sauver les Nukaks ?
Colombie. Les Nukaks, l'un des derniers peuples nomades du bassin amazonien, ne sont connus que depuis 1988. Aujourd'hui chassés de leur territoire ancestral, ils succombent rapidement aux maladies.

Les médecins commencent à examiner les Nukaks sous une tente montée rapidement sur quatre piquets. Les mères portent leurs enfants dans leurs bras avec énormément de précautions. Presque tous les enfants ont des crevasses, des ulcères et des zones blanchâtres sur les pieds. Les médecins mesurent et pèsent les garçons et les filles et découvrent que leurs pieds, leurs cheveux et leur peau sont des nids de parasites. Comment ces petits Nukaks ont-ils survécu à une telle infestation ? « Pour eux, il se passe l'inverse de ce qui se passe pour nous, répond la pédiatre. Lorsque nous allons en forêt, les parasites ont raison de nous parce que nous n'avons pas l'habitude du contact avec eux, et que nous n'avons donc pas développé d'anticorps contre les maladies qu'ils provoquent. Les Nukaks ont acquis une certaine immunité contre ces maladies, et ils n'en meurent pas. En revanche, ils ne connaissent pas les maladies qu'apporte l'homme blanc, et quelque chose d'aussi banal qu'une grippe peut facilement les tuer. »
Avant, raconte Manuel García, les Nukaks avaient leurs propres guérisseurs, les payé. Ceux-ci connaissaient le pouvoir curatif des plantes et avaient des pouvoirs surnaturels. Mais les premiers contacts avec les colons ont apporté l'épidémie. Elle a tout emporté, même les guérisseurs.
[...]
Il y a quelques années à peine, ces Indiens menaient une vie très primitive, faisant du feu en frottant deux morceaux de bois, comme leurs ancêtres. Derrière le campement se trouve une mare stagnante, à laquelle on accède par une planche. Le matin, les femmes viennent s'y baigner en groupe. L'eau grouille d'insectes et de feuilles mortes. Une bande de capucins au pelage roux fait irruption dans les cîmes de arbres qui entourent le campement. Deux martins-pêcheurs au plumage chatoyant -pour les Nukaks, ce sont des porte-bonheur- lancent des cris apeurés.
Dans le groupe des journalistes, nous nous demandons si nous allons passer la nuit dans la réserve, comme prévu. Non. Personne ne veut attendre la ronde nocturne des paramilitaires dans Barrancón Bajo. À 5 heures de l'après-midi, le cortège de journalistes et de médecins prend donc le chemin du retour vers San José del Guaviare. Nous revenons le lendemain. Mauricio et d'autres Nukaks sont partis à la chasse très tôt, mais ils n'ont rapporté que quelques poissons. « Ces groupes ont été déplacés à cause des groupes armés, explique Manuel. Ils ne pouvaient pas supporter ces affrontements, ces fusillades dans la forêt. C'est pour ça qu'ils sont partis, à cause de la peur. » Au dire de Manuel, la menace a surpris les Nukaks à Caño Makú, au milieu de la grande réserve territoriale, d'une superficie de 632 160 hectares, entre les rivières Guaviare et Inírida. À quoi bon disposer d'une telle étendue, si les colons en franchissent les limites selon leur bon plaisir et si les combattants en chassent les occupants légitimes ? « Ils ont choisi de partir tant qu'il y aura des problèmes. Quand il y aura le calme, ils rentreront chez eux. »


Par Oscar Bustos B., pour le trimestriel colombien Número, article repris ensuite par Courrier International, dans le numéro hors-série de juin-juillet-aout 2007, p.55.

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